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La porcelaine

La Porcelaine

La qualité de la porcelaine chinoise, l'harmonie et la diversité de ses formes et de ses décors, son indiscutable antériorité, puisqu'elle était déjà mise au point techniquement sous la dynastie Sui (589-618), ont assuré son prestige dans le monde entier. La fascination qu'elle a exercée s'explique aussi par le mystère, qui parut longtemps miraculeux aux yeux des étrangers, d'une matière issue de la terre et néanmoins translucide, brillante, sonore. Les premières pièces qui parviennent en Occident, dans quelques cours princières des XIVe et XVe siècles, y sont considérées comme des trésors et serties de montures d'orfèvrerie. A partir du XVIe siècle, les faïenceries européennes (Delft, Nevers, Rouen, etc.) s'emploient à imiter la porcelaine, des collections se constituent, des essais sont partout tentés pour en élucider le secret de fabrication, mais ils n'aboutiront qu'au XVIIIe siècle. Du XVIIe au XIXe siècle, enfin, les Compagnies des Indes feront affluer une porcelaine "de commande" sur les marchés de l'Europe entière et jusqu'en Amérique du Nord et du Sud.
Dès le IXe siècle, les navigateurs arabes introduisent la céramique chinoise au Moyen-Orient, où elle inspirera bientôt les faïences de l'Iran, de la Syrie, de la Turquie. La diffusion s'en fera de plus en plus massive, et l'on a retrouvé des porcelaines chinoises non seulement dans toute l'Asie orientale et dans celle du Sud-Est, mais aussi en Inde, en Égypte, et même sur les côtes orientales de l'Afrique. Partout elles sont précieusement conservées, comme en témoignent les anciennes collections toujours visibles à Istanbul et à Téhéran.
Déjà manifeste sous les Tang et les Song (618-1279), cette exportation chinoise prend sa signification mondiale à partir des Yuan (1280-1368), période pendant laquelle la porcelaine se signale par des innovations majeures qui vont conditionner tous ses développements ultérieurs.

L'histoire de la porcelaine japonaise, qui ne remonte qu'au début du XVIIe siècle, est encore mal connue. Vers 1650, cette production est remarquée par les agents de la Compagnie des Indes néerlandaises, et leurs commandes contribuent à son développement. Les "vieux Japon", ou "Imari" (du nom du port d'où ils étaient acheminés vers Nagasaki), sont appréciés en Europe dans les années 1675-1725, et les décors de Kakiemon inspirent les premières porcelaines de Meissen et les pâtes tendres françaises et anglaises.

De ses origines au XVIIIe siècle, l'histoire de la céramique européenne tout entière pourrait être considérée comme la longue recherche entreprise par l'Occident pour fabriquer de la porcelaine chinoise. L'anglais qui désignait par le terme china toute catégorie de porcelaine traduit bien cette fascination. Mais, plus que la composition chimique de la porcelaine extrême-orientale, c'est l'apparence extérieure de celle-ci que l'on a tenté de reproduire: d'où la diversité chimique des produits céramiques dits "porcelaine" fabriqués en Occident. De la porcelaine chinoise, ils ne retiennent souvent qu'une caractéristique: la translucidité. Dans bien des cas, voulant faire de la porcelaine chinoise, on n'est parvenu qu'à produire des objets qui sont en réalité des verres opacifiés à l'étain. Il ne s'agit pas de porcelaine.

De façon plus satisfaisante on est arrivé au stade de la "porcelaine tendre", dont la surface se raye à l'acier. Sa composition chimique, d'ailleurs extrêmement variable, est fondamentalement différente de celle de la porcelaine chinoise, puisqu'elle ne comporte pas de kaolin. La porcelaine tendre se divise en deux catégories essentielles. L'une est dite française (ou à fritte, ou encore artificielle), l'autre est dite anglaise (ou phosphatique, ou encore naturelle). L'élément principal de la porcelaine tendre française est donc une "fritte" (composition soumise à la cuisson à une forte vitrification qui n'est pas poussée jusqu'à la fusion complète) qui est mélangée, cuite, broyée, lavée. Cette fritte est rendue malléable par l'adjonction de liants organiques comme le savon ou la colle, et surtout l'adjonction de marne. Mais celle-ci nuisant à la translucidité de la pâte, on en met le moins possible. Après l'ajout de craie, le mélange est broyé et tamisé.

1. Extrême-Orient

Chine

L'époque Yuan (1280-1368) inaugure l'âge classique de la porcelaine chinoise. L'essentiel est dès lors découvert: corps blanc et translucide, décors peints (sur et sous couverte), gravés, ajourés, en relief. Les dynasties Ming (1368-1644) et Qing (1644-1911) se signaleront par la variété des procédés, des formes, des décors, et par des recherches techniques inédites. La diversité des réalisations permet de suivre l'évolution de la porcelaine du XIVe au XIXe siècle et de la dater.
Les grands "bleu et blanc" du XIVe siècle, vases et plats, sont surtout destinés à l'exportation vers l'Asie occidentale (importantes collections à Istanbul et à Téhéran). Au début du XVe siècle, la matière devient plus fine, le décor s'allège; désormais, une grande part de la production, strictement contrôlée, sera destinée à la cour, et ces pièces impériales porteront les marques des règnes successifs (nianhao). De styles très divers, ces bleu et blanc domineront la production des Ming, avec une période très brillante encore au milieu du XVIIe siècle et au début des Qing. Une autre couleur de grand feu, le rouge de cuivre, plus difficile à manier, sera moins utilisée
Le bleu sous couverte sera, à partir du XVe siècle, rehaussé d'émaux de petit feu, combinaison qui donnera naissance aux wucai , "cinq couleurs", et aux doucai , où les contours seuls sont bleus. Sous Kangxi (1662-1722), la découverte d'un émail bleu conduit aux effets plus homogènes de la "famille verte", dont la vogue se substitue à celle des bleu et blanc. La palette (rouge, vert, jaune, noir) se transforme vers 1720 par l'emploi d'un rose rubis: le XVIIIe siècle sera celui de la "famille rose", d'une grande délicatesse sous Yongzheng (1723-1735), plus chargée et composite sous Qianlong (1736-1796).
Les "biscuits", dont les émaux sont posés non sur la couverte mais sur le corps nu, ont des tons plus sourds; leur apogée se situe sous Kangxi (vases à fonds noirs, statuettes, etc.). émaux et couleurs de grand feu sont parfois combinés deux à deux et souvent employés en monochromes (sang-de-bœuf, "blanc de Chine" du Fujian [Fou-kien], jaune impérial, vert pomme, etc.). A toute cette production classique s'oppose celle, plus fruste, d'un décor spontané et libre, qui s'adresse à l'exportation et provient souvent d'ateliers provinciaux: modèles divers pour le Japon, porcelaines émaillées "de Swatow" (Shantou) pour l'Asie du Sud-Est. A l'Europe, Jingdezhen au Jiangxi fournit des bleu et blanc sous les Ming et, à partir du XVIIe siècle, des porcelaines "de commande" (services armoriés, par exemple), copiés sur des modèles transmis par les Compagnies des Indes.

Japon

Apparition de la porcelaine au Japon

A la faveur des expéditions de Hideyoshi en Corée (1592-1596), les daimyo de l'île méridionale de Kyushu ramenèrent de la péninsule de nombreux potiers. Vers 1616, l'un deux, Risampei, découvrit près d'Arita un gisement de kaolin et fabriqua des porcelaines à décor bleu sous couverte dans le style des pièces coréennes contemporaines. Les potiers japonais ne tardèrent pas à l'imiter et substituèrent aux modèles coréens les décors chinois de la fin des Ming. Les Hollandais leur fournirent des projets de formes et de motifs, puis des émaux de petit feu d'origine chinoise. Plusieurs ateliers s'ouvrirent dans Akaemachi (la "rue de la peinture rouge"), à Arita. Les rouges et les bleus dominent dans des pièces assez lourdes dont les décors, bientôt surchargés, sont rehaussés de dorures.

Japonisation des décors

Deux ateliers se distinguent par la qualité des pâtes et du décor: celui de Sakaida Kakiemon, dont les descendants distribuent des motifs légers où dominent le rouge, le turquoise et le jaune qui font ressortir la blancheur laiteuse des couvertes; celui, réservé aux Nabeshima, daimyo de la province de Saga, qui dut être créé vers 1630. Après s'être inspiré des motifs larges et vigoureux du style chinois, dit de transition (vers 1660), les décorateurs de cet atelier ornent, au XVIIIe siècle, leurs assiettes, à haut pied orné de dents de scie en bleu sous couverte, de compositions asymétriques, d'inspiration purement japonaise.
Le style large des premiers Nabeshima est repris dans la fabrique de Kutani, réservée aux Maeda, daimyo de Kaga (sur la rive de la mer du Japon, à Honshu), mais la gamme des couleurs est différente dans les grands plats rehaussés de manganèse, de vert et de rouge pâle. Cette production, qui doit remonter aux années 1670, fut rapidement interrompue.
Au XVIIIe siècle, les fours de la région d'Arita dominent le marché intérieur.
La porcelaine était réservée à une clientèle princière, et les chajin (maîtres du thé) restaient fidèles à la poterie. Mais la classe marchande enrichie commença à utiliser la porcelaine comme vaisselle de table; au début du XIXe siècle, des ateliers s'ouvrirent dans la plupart des provinces.

2. Occident

En Occident, la porcelaine se divise en deux catégories: la porcelaine tendre (dans laquelle on distingue la porcelaine "française" et la porcelaine "anglaise") et la porcelaine dure.
La porcelaine tendre française peut se tourner (par ébauchage et tournassage), se mouler ou être sculptée librement (par exemple, pour les motifs de fleurs). Les pièces reçoivent ensuite une couverte à base de silice et d'oxyde de plomb, qui est cuite avant de recevoir un décor qui sera cuit lui-même. Les cuissons sont faites à température de moins en moins élevée. La qualité esthétique de la pâte tendre française paraît généralement supérieure à celle de la porcelaine dure. Sa couleur est d'un blanc chaud. Les couleurs sont légèrement fondues dans la couverte. Le tesson est lisse. Quant à la porcelaine tendre anglaise, elle mériterait plutôt le nom de porcelaine hybride, car elle contient du kaolin, du cornish stone (composé de feldspath, de kaolin et de quartz) et enfin de la cendre d'os. Plus la pâte contient de kaolin, plus elle est plastique; plus elle contient de cendre d'os et de cornish stone, plus elle est translucide. Elle se travaille, s'émaille et se décore à peu près comme de la pâte tendre française. Mais les Anglais n'ont jamais cessé d'en perfectionner la fabrication, alors qu'en France l'adoption de la porcelaine dure a été totale au début du XIXe siècle.
La porcelaine italienne est aussi une porcelaine hybride, faite à partir d'une fritte contenant un peu de kaolin.
La composition de la porcelaine dure occidentale est pratiquement semblable à celle de la porcelaine chinoise; elle est beaucoup plus simple que celle de la porcelaine tendre. La pâte s'en travaille beaucoup plus facilement. Il s'agit d'un mélange de trois éléments: le kaolin, argile très blanche et très fine, qui constitue le corps de la pâte et la rend malléable; le feldspath, élément fondant qui se vitrifie à la cuisson; le quartz, qui sert de liant.
La pâte dure peut être tournée, moulée ou coulée. La pièce reçoit alors une première cuisson, dite de dégourdi. Puis elle est émaillée et remise au four pour une cuisson à très haute température, soit 1 300 ou 1 400 oC. Enfin le décor est apposé et cuit à une température relativement basse (entre 700 et 800 oC).
La porcelaine dure n'est pas rayable à l'acier. Elle est très translucide. Les couleurs ne s'intègrent pas dans la couverte. Lorsqu'elle n'a pas reçu de couverte, elle est beaucoup plus rugueuse au toucher que la porcelaine tendre.

La porcelaine tendre

Les premières porcelaines chinoises sont parvenues en Europe au XVe siècle. Aussi, dès la fin de ce siècle, des tentatives sont-elles faites en Italie pour les imiter. Mais il semble bien qu'à Venise et à Ferrare on ne soit parvenu qu'à des matériaux vitreux. Au contraire, à Florence, sous le règne du grand-duc François Ier (1574-1587), des artisans ont réussi des pièces en porcelaine tendre hybride. Ces pièces, aujourd'hui rarissimes, peintes de bleu, mêlent déjà à l'inspiration extrême-orientale l'inspiration européenne aussi bien dans le domaine des formes que dans celui du décor. Mais ceux qui fabriquaient ces pièces dites porcelaines des Médicis gardèrent leur secret, et il faudra attendre le XVIIIe siècle avec les manufactures de Doccia et de Capodimonte pour que la porcelaine tendre renaisse en Italie (il s'agira d'ailleurs toujours de porcelaine hybride).
A la fin du XVIIe siècle, la fabrication de la porcelaine tendre, cette fois-ci sans trace de kaolin, réapparaît en France, à Rouen semble-t-il, grâce à Edme Poterat, et à son fils Louis qui reçoit en 1673 un privilège l'autorisant à en produire. Il meurt en 1696 sans avoir légué son secret, qui n'était cependant pas perdu puisque, dès 1677, à Saint-Cloud, Pierre Chicaneau puis sa veuve, remariée à Henri Trou, et leurs descendants fabriquent de la porcelaine tendre. Ils décorent des pièces de lambrequins bleus, comme l'avaient fait les Poterat, puis imitent les décors extrême-orientaux, blancs en relief ou polychromes. Ils ne parviennent pas eux-mêmes à garder le secret, et Siqaire Cirou fonde en 1725 une manufacture de porcelaine à Chantilly, sous la protection du prince de Condé. Chantilly a pour spécialité les décors polychromes, alors dits coréens, à la haie, à la perdrix, au phénix ou au dragon. Il s'agit en réalité de décors japonais. C'est de Chantilly que viendront les ouvriers fondateurs, en 1740, d'un petit atelier à Vincennes.
En 1748, F. Barbin établit une manufacture à Mennecy, dans le duché de Villeroy. A cette époque, un style plus "français" se fait jour, dont les formes sont nettement inspirées de l'orfèvrerie. Les pièces de Mennecy se distinguent par la remarquable qualité de leur pâte, de couleur très blanche.
La porcelaine de Sceaux (manufacture fondée en 1748 par Chapelle, puis reprise en 1763 par J. Jullien et S. Jacques alors qu'ils dirigeaient également Mennecy avant leur départ, en 1773, pour Bourg-la-Reine) ressemble souvent à celle de Mennecy, avec un décor aux couleurs parfois plus vives, au dessin plus naturaliste.
Enfin, la porcelaine de Tournai peut être, au XVIIIe siècle, considérée comme française. La manufacture, fondée en 1751 par F. Peterinck qui la dirigea jusqu'à sa mort en 1799, n'était pas atteinte cependant par l'interdiction royale de concurrencer Vincennes-Sèvres. Ses formes s'inspirent de l'orfèvrerie, de Meissen ou de Sèvres, ainsi que ses décors, avec parfois une influence anglaise. Au XIXe siècle, la manufacture se fera une spécialité des bleu et blanc.
Au XVIIIe siècle, l'Angleterre produit également de la porcelaine tendre, qu'elle transforme en porcelaine hybride; l'engouement du public pour ces œuvres sera tel qu'on ne fabriquera pas de porcelaine dure alors même que sa fabrication n'est plus un secret pour personne. Quant au style, on s'attache d'abord à la copie (souvent marques comprises) des productions extrême-orientales, allemandes ou françaises. Ce n'est qu'avec le rococo, qui adopte fréquemment un aspect naturaliste dans les décors floraux ou animaliers, puis avec le néo-classicisme que l'Angleterre acquiert un style personnel, surchargé ou dépouillé à l'extrême, déroutant ainsi souvent les collectionneurs du continent.
A Bow, T. Frye invente la bone china . On en distingue mal la production de celle des débuts de Chelsea. Puis la fabrique de Chelsea est réunie à celle de Derby entre 1769 et 1784. Leur style est d'un rococo de plus en plus lourd. La manufacture de Worcester suit la même évolution. Y apparaissent les premiers décors imprimés, procédé qui sera aussi employé avec succès à Caughley. Plymouth et Bristol utilisent le kaolin découvert en Cornouailles en 1755, et pourtant, au début du XIXe siècle, à Nantgarw et Swansea, W. Billingsley tente de refaire de la porcelaine tendre française: les techniques anglaises sont en effet des plus variées. En outre, sous l'influence de Wedgwood, la production s'industrialise de plus en plus dans le Staffordshire, autour de Stoke-on-Trent où J. Spode avait tant amélioré la technique de la bone china, qu'on l'utilise encore de nos jours. Vers 1846, W. T. Copeland y inventa une pseudo-porcelaine imitant le marbre de Paros. Une autre fabrique, fondée en 1796 par T. Minton, usant d'une technique à mi-chemin entre celle de la porcelaine dure et celle de la porcelaine tendre, put se spécialiser au XIXe siècle dans la production des faux Sèvres.

La porcelaine dure

La technique de la porcelaine dure a été découverte en Saxe, à Meissen. Un savant, E. W. von Tschirnhaus, constatant l'impuissance de J. F. Böttger, alchimiste prisonnier d'Auguste II le Fort, à produire de l'or, eut l'idée d'utiliser ses services à la recherche d'un moyen de gagner de l'or en faisant de la vraie porcelaine. Pour la première fois, le problème était abordé par le biais de la chimie. Dès 1708, Böttger réussissait un grès rouge que l'on prenait alors pour une variété de porcelaine, et, dès 1709, il présentait à Auguste le Fort de la porcelaine grossière mais blanche et dure. Böttger n'étant pas un céramiste, de nombreuses pièces fabriquées sous sa direction furent moulées sur d'autres pièces. A sa mort (1719), la plupart des problèmes techniques sont surmontés, sauf celui du bleu sous couverte qui ne le sera que tardivement, et celui de la couverte mise au point par le deuxième directeur de la manufacture, J. G. Höroldt. Celui-ci multiplie les décors polychromes inspirés par l'Extrême-Orient. Les fleurs ne sont plus stylisées, mais peintes "au naturel". La ronde-bosse tient une place de plus en plus importante dans la production de la fabrique grâce à J. B. Kirchner, à J. J. Kändler (qui restera à la manufacture de 1731 à 1775, faisant preuve d'un génie inventif baroque sans limite), grâce à J. F. Eberlein et à E. F. Meyer. Quelques sculptures animalières sont de très grande taille, mais la majorité des pièces sont de petites statuettes, représentant des personnages chinois, des acteurs de la commedia dell'arte, des "cris de Paris", ou encore les musiciens du duc transformés de façon satirique en singes. En même temps se généralise le décor de scènes européennes souvent placées dans des réserves au milieu de rinceaux ou de fonds colorés.
Après la guerre de Sept Ans (1756-1763), c'est sous la direction du comte Marcolini que le goût préromantique et sentimental s'exprime, entre 1764 et 1781, dans les sculptures du Français M.-V. Acier. Sèvres domine désormais l'évolution du style européen. Bientôt Meissen va reproduire ses propres modèles, dans un goût d'autopastiche caractéristique. L'influence de Meissen se répand dans toute l'Europe grâce aux "arcanistes", perpétuels itinérants.
Vienne fabrique de la porcelaine, dès 1719, grâce à S. Stölzel, attiré par Du Paquier qui sera directeur de la manufacture jusqu'en 1744, date à laquelle il devra la vendre à l'état autrichien. Du Paquier cherche à rivaliser avec Meissen aussi bien dans le domaine de la vaisselle que dans celui des statuettes. Il est aussi influencé par les Hausmaler , peintres à domicile qui décorent de la porcelaine blanche: l'un d'eux, Bottengruber, résida à Vienne vers 1730. Lorsque Marie-Antoinette devient reine de France, la manufacture subit l'influence française. Sous la direction de K. Sorgenthal à partir de 1784, sous celle de Niedermayer à partir de 1805, elle produit des pièces d'un néo-classicisme mesuré qui connaîtra un succès international au XIXe siècle.
Les arcanistes s'établissent partout en Allemagne: après Vienne, c'est à Höchst qu'entre 1750 et 1794 se fait une jolie porcelaine empreinte de la grâce rococo du XVIIIe siècle allemand.
A Berlin, Wegely obtient en 1752 un privilège de Frédéric le Grand pour la fabrication de la porcelaine. Mais le roi voulait de la magnificence et Wegely faisait du charmant. La manufacture fut vendue, et, en 1763, elle devint propriété royale; on y exécuta alors de grands services pour les palais.
Le duc Charles Ier de Brunswick voulait, lui aussi, avoir sa manufacture. Il en créa une à Furstenberg dès 1753 et la soutint malgré de nombreuses difficultés. Elle retrouva un regain d'activité vers 1770, dans le style néo-classique.
La manufacture de Nymphenburg ne connut la porcelaine qu'en 1753. Sa gloire est due surtout au sculpteur italien Bustelli, qui, de 1754 à 1763, modela pour elle nombre de statuettes. Quant à Frankenthal, sa fondation résulte de l'interdiction faite en 1755 par la manufacture de Vincennes de produire de la porcelaine à Strasbourg. Paul Hannong s'installe donc en Allemagne, mais son fils Joseph doit vendre dès 1762. L'influence française, comme ailleurs, tend à remplacer celle de Meissen, et la manufacture est fermée en 1799. A Louisbourg, le duc de Wurtemberg fait venir en 1758 l'arcaniste J. J. Ringler, qui y reste quarante ans. Il imite, sans l'égaler, Meissen et fait des grands décors en relief sa spécialité. Le déclin de la manufacture est rapide, mais elle ne ferme qu'en 1824.
Il faut également noter les nombreuses fabriques qui, en Thuringe, ont été fondées au XVIIIe siècle, sans l'appui des nobles, et qui ont travaillé pour une clientèle bourgeoise: certaines existent encore. L'art de la porcelaine atteint alors la Suisse: Zurich, Nyon ont eu une production de qualité moyenne.
Au Danemark, la manufacture de Copenhague ne réussit de la porcelaine dure qu'en 1776 après avoir fait de la porcelaine tendre. Ses décors sont le plus souvent bleus. Au XIXe siècle, cette production se distingua par la pureté de ses formes.
Plus au nord, en Suède, la fabrique de Marieberg essaya à plusieurs reprises de faire de la porcelaine: H. Sten y parvint en 1772, mais la technique ne fut au point qu'en 1777-1778, grâce à la présence passagère d'un Français, J. Dortu. Comme le Danemark, la Suède traversa le XIXe siècle sans connaître le néo-rococo.
Enfin, en Russie, Catherine II voulait une manufacture impériale: elle en fonda une à Saint-Pétersbourg. Par la suite, plusieurs autres centres apparurent, notamment à Moscou.
Les arcanistes voyagèrent aussi vers le sud. On a cité la manufacture royale de Capodimonte, en Italie, qui faisait de la porcelaine hybride. En 1759, Charles III de Naples devint roi d'Espagne. Il transféra la manufacture à Buen Retiro, qui, après une première production dans le style italien, donnera de la vraie porcelaine dure.
Enfin, après la découverte du kaolin à Saint-Yrieix, près de Limoges, en 1768, la France commença, à la suite de Sèvres, à faire de la porcelaine dure. A Paris se concentrèrent les fabricants, tels Schœlcher, Locré, Deruelle, Lebœuf, Dihl et Guerhard, Nast, Honoré et Dagoty. Tous travaillent dans le style néo-classique de Sèvres, mais, au milieu du XIXe siècle, Jacob Petit sut créer un style néo-rococo des plus fantaisistes.
A la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la production de la porcelaine est de plus en plus variée, non seulement dans sa technique (Sèvres joue alors un rôle novateur) mais aussi dans ses formes. Si la plupart des artistes préfèrent des matériaux d'apparence plus fruste comme le grès, d'autres comme A. Delaherche (1857-1940), E. Decœur (1876-1953), outre le grès, utilisent la porcelaine pour retrouver la pureté des formes extrême-orientales.
Aujourd'hui encore, la simplicité est à la mode. Lorsque s'y adjoint le goût de la rusticité, la porcelaine est moins prisée. Sa fabrication s'est, au XXe siècle, largement répandue et vulgarisée: il n'est guère de pays qui n'en fabrique. Mais elle est devenue un art industriel.

La porcelaine de Sèvres

Considérations historiques

En 1740, le contrôleur général des Finances, Philibert Orry, qui cherchait à faire de la porcelaine afin de combattre l'importation orientale et saxonne, redoutable pour la France, accepta les offres de service de C. H. Gérin, inventeur du secret d'une pâte parfaitement blanche. Il concéda au petit groupe d'ouvriers venus avec celui-ci de Chantilly d'installer dans le château royal de Vincennes des ateliers rapidement financés par son demi-frère, l'intendant des finances Jean Louis Henry Orry de Fulvy. En 1745, un arrêt du Conseil d'état accorda un privilège au nom de Charles Adam pour fabriquer de la porcelaine à la "façon de Saxe". Cette première société fut dissoute en 1752; Louis XV - qui avait très tôt soutenu financièrement l'entreprise - remboursa les actionnaires et racheta les actifs, plus le quart du capital d'une nouvelle société constituée au nom d'Eloy Brichard; il conféra le titre de Manufacture royale à la fabrique de Vincennes et officialisa le droit de prendre son chiffre pour marque. Sous l'influence de Mme de Pompadour, il décida le transfert des ateliers à Sèvres. La construction de la Manufacture royale était achevée en 1756. Le beau bâtiment, encore existant (siège aujourd'hui du Centre international d'études pédagogiques), avait ruiné la compagnie. Le roi, en 1759, désintéressa les associés et intégra l'entreprise dans le domaine de la couronne. Depuis lors, en dépit des changements de régime, l'établissement a toujours été inscrit au budget de l'état et rattaché au ministère chargé de l'administration des Beaux-Arts. Au XIXe siècle, Napoléon III fit édifier les bâtiments où la Manufacture nationale de Sèvres est encore installée depuis 1876.

Considérations techniques

Porcelaine tendre

Il s'agit, en 1740 et pour bien des années encore, de pâte tendre artificielle. Pour assurer la conservation des recettes, le roi, à partir de 1751, charge l'académicien chimiste Jean Hellot de vérifier les essais et de transcrire les formules. Les secrets sont consignés dans un registre fermant à clé; leur sauvegarde conditionne tout, aussi bien les rapports entre direction et personnel que la disposition intérieure du nouveau bâtiment.
Jusqu'à son abandon, la formule de la porcelaine tendre de Vincennes puis de Sèvres subit peu de modifications. La fritte, partie fusible, est un mélange de cristal minéral, de sel marin, d'alun de roche, de soude d'Espagne, de gypse de Montmartre, mêlé à une forte proportion de sable fin de Fontainebleau. Le tout, bien pilé, cuit sous le four, pilé à nouveau, est additionné d'un tiers de corps: du blanc d'Espagne et de la terre d'Argenteuil. Ces matériaux, broyés au moulin et convenablement hydratés, donnent une pâte qui manque de plasticité. Il faut encore y incorporer un mélange de savon noir et de colle de parchemin, appelé "chimie".
Le façonnage des pièces est confié aux mouleurs et aux tourneurs spécialisés. Les garnitures, suivant leur nature, sont exécutées par les répareurs, les anseurs et les becqueteurs.
Les objets achevés, avant d'être émaillés, sont cuits à 1 200 oC environ; ils sont ainsi à l'état de biscuit (étymologiquement: "cuit deux fois"), ayant subi le retrait de cuisson qui affecte toute porcelaine.
L'émail, à base de litharge et de sable de Fontainebleau, contient des silex calcinés, du carbonate de potasse et du carbonate de soude. Le mélange pulvérisé est appliqué par trempage ou au pinceau. Une nouvelle cuisson, à basse température, rend cet émail tendre apte à recevoir le décor polychrome et l'or.
Hellot réunit aussi les formules secrètes des couleurs et des émaux. Avant 1757, date à laquelle Pierre Joseph Macquer, membre de l'Académie des sciences, lui est associé, il poursuit les essais avec Bailly, préparateur, et se fait céder les recettes qui auparavant étaient l'apanage de certains décorateurs. Les camaïeux pourpre, vert, bistre, échantillonnés par Pierre-Antoine-Henri Taunay en 1748, attestent la variété des premières palettes de Vincennes qui s'enrichissent sans cesse. Toutes les couleurs ne supportent pas la même température, d'où la nécessité de plusieurs feux dégressifs sur lesquels veille Millot, chef des fours, pendant de nombreuses années. Le secret pour l'application de l'or est acheté en 1748 au frère Hippolyte, bénédictin de Saint-Martin-des-Champs. L'or posé sur fond blanc réclame une température de cuisson plus élevée que sur fond de couleur. Les parties dorées sont brunies à l'effet, parfois gravées. Les ors étincelants sont le privilège de la Manufacture royale, privilège qui sera de moins en moins respecté à mesure que se généralisera la fabrication de la porcelaine dure.

Porcelaine dure

La matière artificielle n'est, aux yeux des savants, qu'un pis-aller en attendant de trouver du kaolin en France. En 1768, Macquer et Millot, délégués en voyage de recherches en Guyenne et en Gascogne, aboutissent en Limousin où ils reconnaissent à Saint-Yrieix des carrières exploitables. La formule de la porcelaine dure est déjà connue. Après de rapides essais en 1769, la Manufacture de Sèvres est en mesure de la fabriquer. La production simultanée des deux sortes de pâtes continue jusqu'en 1804. Alexandre Brongniart, chimiste et minéralogiste, directeur de 1800 à 1847, renonce à la pâte tendre. Il a mis au point une formule riche en kaolin (65 p. 100), contenant une proportion assez faible de feldspath (15 p. 100), de quartz (14,5 p. 100) et de craie (5,5 p. 100). Cette formule dite dure ancienne , encore utilisée de nos jours, permet des pièces qui résistent parfaitement au choc thermique, mais qui tolèrent mal les émaux. Dans le courant des XIXe et XXe siècles apparaissent de nouvelles compositions, d'utilisation parfois passagère: pâtes tendre kaolinique, siliceuse, spéciale, etc. Inventée par les chimistes Charles Lauth et Georges Vogt, la dure nouvelle , contenant kaolin (44 p. 100) et pegmatites (56 p. 100), est utilisée constamment depuis le dernier quart du XIXe siècle. Dernière née, la blanche AA se prête bien aux réalisations modernes par coulage.
En plus du façonnage par moulage et par tournage, le coulage de barbotine (pâte délayée), dans des moules en plâtre, introduit timidement vers 1814, courant depuis 1850, facilite l'élaboration des très grandes pièces.
Contrairement à la pâte tendre, la porcelaine dure, raidie par un feu de dégourdi (environ 900 oC), est revêtue de sa couverte feldspathique par immersion, insufflation ou badigeon, avant la cuisson: à 1 410 oC (dure ancienne, blanche AA) ou à 1 280 oC (dure nouvelle). Les fours à bois, puis au fuel, sont remplacés par les fours-cellule au propane. Les moufles électriques sont réservés aux cuissons de petit feu pour les décors de peinture et d'or.
Les couleurs, composées d'oxydes métalliques, sont adaptées aux décors de grand feu ou de petit feu. Les premiers peuvent être exécutés soit sous couverte sur la pièce crue (pâtes rapportées), soit sur couverte sur la pièce cuite, ce qui est le cas du fameux bleu de Sèvres. Les hautes températures, destructrices des oxydes, limitent les gammes de couleurs. Celles de petit feu, cuites à moins de 1 000 oC et par feux dégressifs, offrent des palettes fraîches et variées.
L'or, délayé dans un fondant, s'emploie au pinceau. Depuis le début du XIXe siècle, les frises et motifs de répétition sont posés par impression; la poudre métallique est alors mélangée à du noir de fumée, qui s'évapore à la cuisson. Le brunissage à l'agate est indispensable, sauf pour quelques formules particulières tel l'or chinois, transparent et brillant.

Considérations artistiques

Les modèles des formes et des décors sont inventés par des artistes de l'extérieur ou par ceux de la Manufacture.
Pièce
s d'ornement, de vaisselle et d'usage doivent, à l'origine, leurs formes à Jean-Claude Duplessis, orfèvre du roi, qui leur imprime un style rocaille équilibré. Etienne Falconet, Louis Simon Boizot tendent vers un néo-classicisme qui se développe pendant la période impériale, sous l'influence des vases étrusques rapportés par Vivant Denon. Alexandre Évariste Fragonard, Jules Peyre, Aimé Chenavard, Albert Ernest Carrier-Belleuse, Alexandre Sandier, parmi d'autres, jalonnent le XIXe siècle. Au XXe siècle, Félix Aubert, Jean Mayodon, Émile Decœur créent de nombreux modèles.
Au XVIIIe siècle, la décoration, très inspirée par les modèles de Saxe et d'Extrême-Orient, devient autochtone sous la direction de Jean-Jacques Bachelier, peintre de fleurs, qui fonde à Paris une école où sont recrutés les apprentis décorateurs. Les paysages animés sont moins fréquents que les fleurs et les amours d'après François Boucher, interprétés en camaïeu bleu ou pourpre, ou bien en coloris. Les oiseaux, empruntés à la peinture contemporaine puis aux planches de Buffon, constituent un genre apprécié et durable. Des copies en miniature de tableaux à la manière de Teniers, des marines illustrent aussi les cartels encadrés de riches dorures ménagés dans les fonds de couleurs: bleu foncé, bleu céleste, jaune, vert, rose, etc. La grammaire ornementale de l'Antiquité détrône, à la fin de l'Ancien Régime, rocailles, guirlandes, rubans, entrelacs et croisillons. Les couleurs se multiplient avec la pâte dure, sur laquelle, outre les décors précités, on constate une recrudescence de chinoiseries polychromes ou en ors de plusieurs tons. Notons aussi des portraits et des tableaux, comme la série des chasses d'après Jean-Baptiste Oudry.
Au XIXe siècle, la Manufacture continue d'adopter les styles à la mode: après la sévérité du premier Empire et la propagande napoléonienne, la Restauration voit triompher le romantisme, l'exotisme et les ensembles thématiques, le second Empire privilégie le retour au rococo et la IIIe République mélange hardiment les influences orientales à l'historicisme avant les grâces de l'Art nouveau et la rigueur de l'Art déco. Aux cartels sur fonds colorés succèdent des compositions libres mieux adaptées aux formes.
La Manufacture continue aujourd'hui de faire appel à son personnel et à des artistes, concepteurs et céramistes, pour créer des décors et des formes adaptés au goût contemporain.
Les fleurs en ronde bosse peintes au naturel constituent la plus importante production de Vincennes à ses débuts. Leur vogue décroît assez vite, tandis que les sculptures plus originales acquièrent une renommée durable. Dépouillées de leur émail onctueux, figures et groupes sont laissés en biscuit à partir de 1751. Les meilleurs sculpteurs - Falconet, Boizot, Pigalle et beaucoup d'autres - ne craindront plus d'être trahis: la matière pure conserve les finesses de leurs œuvres. Aux sujets aimables, aux enfants d'après Boucher, aux surtouts élégants succèdent des réductions de grandes statues, des bustes, des animaux. Depuis deux cent cinquante ans, les charmantes figurines du XVIIIe siècle, les médaillons, les bas-reliefs de même que les créations contemporaines conservent des amateurs et contribuent à donner à la porcelaine de Sèvres un caractère purement artistique.

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